Questions à T.Larrouturou

La parole à Thibaut LarrouturouUn doctorant de l'UJM récompensé par le conseil constitutionnel pour sa thèse

En juin 2021, Thibaut Larrouturou, doctorant en droit public de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, a été primé pour sa thèse « Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité », par le Conseil Constitutionnel. Retrouvez dans cet article son témoignage sur son sujet de thèse, sa soutenance, ses impressions sur le prix qui lui a été décerné et ses futurs projets.

Parlez-nous de votre sujet de thèse ?

La thèse de doctorat que j'ai réalisée, sous la direction de Baptiste Bonnet, Professeur et Doyen de la Faculté de Droit, porte sur le sujet « Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité ». Ce qui se cache derrière ces termes qui peuvent paraître obscurs pour le non juriste, ce sont deux mécanismes de contrôle de la loi. Il faut savoir que, depuis la Révolution de 1789, la Loi est considérée en France comme l’expression de la volonté générale. À ce titre, elle est restée incontestable devant les tribunaux pendant près de deux siècles. Les choses ont bien changé à la suite de la Seconde guerre mondiale, qui a révélé que la loi pouvait mal faire : à l’heure actuelle, les justiciables (les individus, les associations, les entreprises…) disposent de deux outils leur permettant de contester la loi lors d’un procès. 

D’une part, chacun peut demander à son juge de vérifier que la loi qui doit lui être appliquée est compatible avec le droit international, au premier rang desquels on trouve la Convention européenne des droits de l’homme et le droit de l’Union européenne : c’est le contrôle de conventionnalité. 
D’autre part, il est également possible de demander à son juge de saisir le Conseil constitutionnel afin que ce dernier contrôle la conformité de la loi applicable aux droits et libertés garantis par la Constitution française : c’est la question prioritaire de constitutionnalité, plus connue sous le nom de « QPC ».
Pour compliquer encore un peu les choses, il faut savoir que deux juridictions internationales, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne, peuvent être saisies dans certaines configurations par les juridictions françaises ou par les justiciables eux-mêmes, afin qu’elles se prononcent sur ce qu’exige le droit européen. Ces deux mécanismes n’appliquent pas les mêmes normes, n’impliquent pas les mêmes juges et n’ont pas les mêmes effets sur la loi. Pourtant, ils partagent une même finalité de protection des droits et libertés et doivent donc être articulés.
Le sujet de ma thèse est précisément cette nécessaire articulation entre QPC et contrôle de conventionnalité. Le but de la recherche que j’ai menée est de parfaitement comprendre la manière dont ils coexistent actuellement, mais également de rechercher si des améliorations pourraient être apportées à leur cohabitation. 

Le Conseil constitutionnel a primé votre thèse. Que représente cette gratification ?

L’objectif de toute recherche, et notamment d’une thèse, est la production et la diffusion du savoir. Le prix du Conseil constitutionnel, qui consiste essentiellement en la publication de ma thèse chez un éditeur juridique bien connu, va permettre la réalisation de ce second objectif : ma thèse va rejoindre l’ensemble des bibliothèques universitaires et celles de plusieurs institutions et juridictions intéressées par mon sujet, et pourra donc être aisément accessible.

Sur un plan plus personnel, je ressens évidemment beaucoup de fierté. Il faut savoir que l’un des critères d’attribution de ce prix est l’utilité de la thèse pour les travaux du Conseil constitutionnel, et je suis très heureux à l’idée d’avoir produit un travail qui n’intéressera pas seulement le monde académique, mais qui pourra être utilisé par les acteurs du procès afin de réfléchir à leurs pratiques, et pourquoi pas de les affiner sur certains points.

Quel regard portez-vous sur vos années de doctorat à l’Université Jean Monnet ? 

Il est impossible d’en retenir un seul ! Sur le plan humain, je garderai toujours le souvenir des enseignants de la Faculté de Droit qui m’ont soutenu et  qui m'ont fait grandir pendant ma thèse, mais aussi celui des étudiants à qui j’ai au la chance d’enseigner le Droit. Ils m’ont donné, sans même le savoir, énormément d’énergie. Sans oublier bien sûr les autres doctorants de l’UJM, avec qui j’ai passé de nombreux bons moments !

Sur le plan professionnel, ma thèse m’a par ailleurs conduit à un parcours très riche. J’ai ainsi eu la chance d’être stagiaire au sein de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, puis d’être recruté pendant quatre années en tant que référendaire à la Cour européenne des droits de l’homme. Je garde de ces expériences un souvenir impérissable.

Bien évidemment, cela a parfois été difficile de tout concilier. Pendant quelques mois, j'ai travaillé parfois quatre jours par semaine à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, avant d’aller enseigner à la Faculté de Droit de Saint Étienne le vendredi, tout en continuant d’avancer ma thèse les soirs et les weekends ! Cela m’a demandé beaucoup de discipline et d’investissement. Heureusement, la passion de l’enseignement et de la recherche ne m’a jamais quitté, ce qui m’a permis de faire face à ces difficultés.

Quel souvenir gardez-vous de votre soutenance de thèse ? 

Un souvenir un petit peu mitigé, je dois bien l’avouer ! Ma soutenance a malheureusement eu lieu dans le contexte de la pandémie de Covid-19, ce qui a fait que j’ai pratiquement soutenu ma thèse à huis-clos. Seuls quatre membres du jury sur sept étaient physiquement présents, et je n’ai pu inviter à ma soutenance que mes parents, ma fiancée et trois amis très proches. Je retiens de cet évènement marquant la bienveillance du jury face à cette situation particulière ainsi que la richesse des échanges qui ont eu lieu ce jour-là, et qui m’ont fait progresser dans ma réflexion.

Que vous ont apporté vos années d'étudiant à la faculté de Droit ?

Énormément de choses. Tout d’abord, une formation d’excellence sans laquelle je n’aurais jamais pu intégrer une juridiction internationale en tant que juriste ou soutenir une thèse récompensée par le prix du Conseil constitutionnel. La Faculté de Droit de l’Université Jean Monnet, du fait de sa taille humaine et de l’engagement de ses enseignants-chercheurs, permet à chaque étudiant d’exprimer son potentiel.
Parmi bien d’autres choses, cela s’est exprimé dans mon cas à travers le dynamisme de la faculté en matière de concours interuniversitaires de plaidoiries : alors que je ne pensais pas du tout avoir la fibre d’un plaideur, j’ai intégré des équipes de l’UJM et ai eu la chance de développer grâce à cela des qualités oratoires. Par ailleurs, au-delà de ma formation juridique, mes années d’étudiant ont très largement forgé ma personnalité par les rencontres extraordinaires que j’ai pu faire, ou encore par l’occasion qui m’a été donnée de passer un semestre à Istanbul dans le cadre du programme Erasmus.

Quels conseils donneriez-vous aux doctorants de l'UJM ?

De ne surtout pas se couper de leurs proches et de leurs sources d’épanouissement. La thèse est un travail long, souvent solitaire et très exigeant. On peut rapidement se laisser aspirer par elle, au point de lui consacrer tout son temps et toutes ses pensées. Dans mon expérience, il faut au contraire impérativement chercher à conserver un certain équilibre. La pratique sportive, les découvertes culturelles, les sorties entre amis et les moments en famille sont tout aussi indispensables à la réussite d’une thèse que le temps passé à assister à des colloques ou à consulter des ouvrages en bibliothèque. Même s’il faut bien admettre que, dans la dernière ligne droite de la thèse, il est difficile de ne pas se laisser submerger par le travail !

Quels sont vos projets d'avenir ?

Mon projet est d’exercer ce que ma professeure d’introduction au droit qualifiait de « plus beau métier du monde » : celui d’enseignant-chercheur à l’Université. J’ai récemment été recruté en cette qualité pour une année à Grenoble, et je vais passer dans les prochains mois des concours, dont le concours d’agrégation en droit public dans le but d’obtenir un poste pérenne au sein d’une faculté de Droit. J’espère pouvoir rendre à l’Université une partie de tout ce qu’elle m’a apporté, et contribuer à la défendre. 

Propos recueillis auprès de Thibaut Larrouturou

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Publié le 15 juillet 2021