SAINT-SIMONISME ET ECONOMIE - Thèmes

SAINT-SIMONISME ET ECONOMIE - Thèmes

De manière plus précise, la recherche a porté et va porter sur plusieurs thèmes :   

1°) le contenu proprement économique de la pensée saint-simonienne, contenu qui a été négligé jusqu'alors au profit d'une approche doctrinale beaucoup plus générale. Il s'agit de savoir quelle est la réalité et le statut du contenu économique de ce mouvement (au delà de l'industrialisme bien connu) : rapport à Smith, aux physiocrates, à Say, et à Sismondi en particulier, dans ce premier tiers du XIXème siècle à dominante néo-smithienne. Ce qui a été ensuite présenté comme le mouvement précurseur des socialismes dans une lecture post-1848, ne peut être absorbé par un simple label de socialisme utopique. Le questionnement porte alors plus spécifiquement sur :

-  le traitement des crises commerciales (Say-Sismondi-Saint-simoniens)

- le rôle des banques et de la monnaie (statut de la Banque de France, revendication d'un système bancaire hiérarchisé et structuré par les types d'activités de l'industrie, théorie de la monnaie et du taux d'intérêt, rôle de la banque...)

- le saint-simonisme économique comme une théorie de la rente et de la lutte contre un capitalisme patrimonial. A ce titre le saint-simonisme ouvre une longue tradition de mise en cause de la rente (jusqu'à aujourd'hui), qui n'est pas une théorie de l'exploitation (au sens marxiste par exemple). Il est donc l'initiateur de courants critiques récurrents fondés sur cette mise en cause de la rente.

- l'économie coloniale des saint-simoniens (rapport avec l'association universelle, l'organisation industrielle, l'orientalisme, la conquête de l'Algérie notamment).

2°) « Economie sociale » et/ou « économie politique » ? Les saint-simoniens, au moment même où l'économie politique s'institutionnalise en France (avec Say notamment) rejette l'autonomisation de la discipline et revendiquent une économie insérée dans une philosophie générale des rapports sociaux (une « philosophie de l'industrie », ou « politique économique », qui sera rapidement appelée « économie sociale » (Pecqueur). Ce rejet de l'économie politique et cette tentative d'élaboration d'un cadre disciplinaire beaucoup plus large est un trait récurrent des perspectives critiques en économie : « économie sociale » et « sociologie économique » à la fin du XIXème et au début du XXème... jusqu'à aujourd'hui (cf. tentative de création d'une section du CNU « économie et société »...). Il s'agit alors, en s'appuyant sur le saint-simonisme, de s'interroger sur l'origine de cette revendication récurrente d'élargissement pluridisciplinaire, sur ses difficultés voire ses échecs.

3°) Utopies. La réinterprétation et la réévaluation des utopies, dans leur sens créatif et innovant, a avancé assez sérieusement en ce qui concerne le saint-simonisme, avec divers travaux (Riot-Sarcey, Régnier, Picon, Musso, Grange, Brémand...). mais cela a plus concerné l'histoire, la science politique, la littérature et la philosophie que l'économie elle-même, à l'exception toutefois du rôle des ingénieurs. Les questions des brevets scientifiques, du risque et de la prévoyance sociale, des innovations sociales et organisationnelles demeurent encore à approfondir.

4°) Economie et physiologie. Le saint-simonisme constitue, à l'instar de nombreuses approches, un exemple d'une mise en rapport entre physiologie et économie. Le recours à des métaphores ou à des analogies du corps social pour l'économie est certes relativement courant (sous des formes différentes chez Quesnay, et chez Say notamment à l'époque). Néanmoins, le saint-simonisme, avec le rôle important de ses disciples médecins (Buchez notamment) se situe dans le prolongement spécifique de la filiation des philosophes médecins des Idéologues (Cabanis tout particulièrement). Il tient compte des développement scientifiques de la physiologie (Cabanis, Gall, l'école de Montpellier) pour passer d'une physiologie de la sensation qui a une très forte tradition en sciences morales (sociales) à une physiologie de l'organisation, et tenter de donner un statut analogique aux notions de sympathie (dans un sens strictement non humien et non smithien), d'association, d'évolution. Ce sont eux qui vont donner une place centrale à la notion d'organisation en sciences sociales (économie, gestion notamment).

5°) Utilitarisme et saint-simonisme. Il est largement méconnu que les saint-simoniens ont entretenu des liens importants avec les versions benthamienne et millienne de l'utilitarisme. (Bentham-J.S.Mill). Ce terrain commun, explicitement revendiqué, trouble les interprétations continentales des deux doctrines et permet d'affronter les causes d'un rendez-vous finalement manqué entre utilitarismes et socialismes dans le monde continental européen, à la différence notable de ce qui s'est passé au sein du monde anglo-saxon (du XIXème au XXième siècles).

6°) Conceptions de la justice : si A. Smith est considéré comme un point de repère essentiel dans la définition de la justice distributive en économie et philosophie politique, le basculement vers le XIXème siècle, avec le saint-simonisme en particulier, est beaucoup moins étudié sur la question. Les saint-simoniens, qui ont entretenu des liens avec l'utilitarisme, ouvrent-ils une conception nouvelle de la justice ? Ils sont les créateurs et les codificateurs de règles synthétiques de justice (« à chacun selon ses capacités ; à chacun selon ses œuvres ») qui vont connaître, sous des formes diverses, un succès durant tout le XIXème siècle (à chacun selon son travail, selon ses besoins... etc...). La définition du but général de l'économie et de la société (« amélioration du sort physique, intellectuel et moral de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », avec ses accents benthamiens, associée aux deux règles précédentes rejetant l'égalitarisme et le partage égalitaire du produit matériel et immatériel ouvre-t-il une voie nouvelle dans la définition de la justice ?

7°) Droit et économie : Au cours d'une période extrêmement riche en bouleversements (Révolution, Empire, Restaurations), mais marquée par une volonté commune (comment terminer la Révolution française ?), on trouve un grand nombre d'innovations institutionnelles. Les débats sur la législation (issus de Bentham mais non uniquement) trouvent aussi un fort écho chez les saint-simoniens, avec leurs philosophes légistes (Duvergier, Laurent, Lerminier). En particulier peut-on discerner les linéaments d'un couplage entre droit et économie qui modifierait la lecture de l'histoire habituelle de Law & Economics (conception générale du droit, rejetant à la fois le droit naturel, le contractualisme mais aussi l'école historique du droit ; rôle décisif confié à la législation sur la « constitution de la propriété », critique du rôle des « légistes », débat sur la réforme constitutionnelle, rejet du jury...) ?

8°) Religion et économie. Le rapport entre l'économie saint-simonienne et la religion ne peut se réduire à une sorte de dérive sectaire initiée par Enfantin. Le cadre initial, défini dès Saint-Simon, autour d'une vision globale de la production (industrie) articulée autour d'un triptyque de fonctions (intérêts-actions/calcul-idées/sentiments-sympathies) correspondant à un triptyque d'organisation du corps social (industrie/science/art-religion) le montre bien. « L'humanité a t-elle un avenir religieux ? » se demandent les saint-simoniens dans l'exposition de leur doctrine, associant cet avenir religieux à la prise en compte de la dimension non strictement matérielle du produit global. Après les mises en cause révolutionnaires, quel peut être le statut d'une religion présentée comme une religion industrielle et positive ?

 

La recherche s'accompagne aussi d'un travail scientifique sur les textes saint-simoniens eux-mêmes (voir site scientifique et projets d'éditions critiques).