Que disent les pleurs des bébés ?

Que disent les pleurs des bébés ?Publication scientifique

Le pleur est le signal par lequel les bébés communiquent vocalement avec leurs parents et les autres personnes qui s'occupent d'eux au cours des premiers mois de leur vie. Mais que nous disent réellement les pleurs d’un bébé ? Malgré l'intérêt universel pour cette question, nos connaissances restaient jusqu’alors sans base scientifique établie. Deux équipes de recherche de l’université Jean Monnet à Saint-Étienne, de l’Inserm et du CNRS1 ont relevé le défi de répondre à cette question. Si chaque pleur présente des caractéristiques individuelles propre à l’enfant, rien ne permettrait de distinguer sa cause – faim, inconfort, isolement – ni s’il s’agit d’un pleur d’une fille ou d’un garçon. En revanche les caractéristiques acoustiques du pleur sont bien corrélées au niveau de détresse dans lequel se trouve l’enfant, incitant le parent ou l’adulte à réagir. Ces résultats sont publiés dans la revue Communications Psychology.

Dans cette étude, les chercheurs et chercheuses ont d’abord mené une analyse de près de 40 000 pleurs de 24 bébés filles et garçons enregistrés pendant les quatre premiers mois de leur vie. Ils ont testé la présence de corrélations entre les caractéristiques des pleurs et l’évènement qui les avaient déclenchés. Ils ont ensuite procédé à des expériences de playback où des auditeurs et auditrices adultes écoutaient une partie des pleurs enregistrés et devaient identifier leur cause.

Les résultats confirment que les pleurs des filles et des garçons sont acoustiquement similaires. Cependant, chaque bébé pleure d’une manière qui lui est propre. Ces signatures individuelles sont définies par un ensemble de caractéristiques acoustiques spécifiques qui changent de manière prédictible avec l'âge, de sorte que l'individualité des pleurs des bébés est préservée au fur et à mesure de leur développement.
Alors que la croyance populaire veut que les pleurs des bébés informent quant à leur cause, les algorithmes d'apprentissage automatique utilisés dans le cadre de cette étude n’ont trouvé aucune preuve que les pleurs des bébés communiquent leur cause. Ils ont au contraire montré que les pleurs de bébés liés à la faim, à l'isolement ou à l'inconfort, ne présentaient pas de caractéristiques distinctes.
De plus, le large échantillon d'auditeurs et d’auditrices (plus de 200 personnes) n’a pas réussi à identifier les causes des pleurs produits par les bébés.

« A travers cette étude, nous voyons que les pleurs des bébés humains contiennent des indices acoustiques définissant une signature vocale propre à chaque bébé tout en codant de manière dynamique des états motivationnels et émotionnels. Nous n’avons pas identifié d’information quant à la cause des pleurs : il semble ainsi impossible de savoir pourquoi un bébé pleure rien qu’en l’écoutant. L’information saillante portée par le pleur est celle du niveau de détresse du bébé qui est codé par un ensemble de traits comme la rugosité acoustique. Cette information est évidemment primordiale puisqu’elle renseigne sur le degré d’urgence à réagir au pleur. », explique Nicolas Mathevon, responsable de cette étude. De tels signaux vocaux gradés sont courants aussi chez les autres espèces de grands singes (comme les bonobos ou les chimpanzés), chez qui les cris varient continuellement en fonction des niveaux d'excitation ou de stress plutôt que de manière catégorique selon les contextes.

1 Ces travaux ont été réalisés par l’équipe de neuro-éthologie sensorielle (ENES) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (UJM/ Lyon 1/CNRS/Inserm) et celle du laboratoire Sainbiose (UJM/Inserm /Mines Saint-Étienne). 

 

Référence :
Infant cries convey both stable and dynamic information about age and identity, Communications Psychology. Lockart-Bouron et al., 2023.
Lire l'article : www.nature.com/articles/s44271-023-00022-z

Contact chercheur

Nicolas MATHEVON
Professeur à l’Université́ de Saint-Étienne, membre senior de l’Institut universitaire de France, explorateur pour la National Geographic Society, et ancien visiting professor de l’University of California, Berkeley et de la City University of New York. Il étudie les communications acoustiques animales et humaines depuis presque trente ans, a fondé́ une équipe de recherche dédiée à la bioacoustique (Équipe de Neuro-Éthologie Sensorielle, Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, CNRS, INSERM, Université́ de Saint-Étienne) et préside actuellement l’International Bioacoustics Society (IBAC)
mathevon @ univ-st-etienne.fr

Publié le 5 octobre 2023