Michel Parisse : hommage que lui a consacré Laurent Morelle

Michel Parisse : hommage que lui a consacré Laurent Morelle

Michel Parisse

Né le 1er mai 1936 à Void-Vacon dans la Meuse, benjamin d’une famille nombreuse, Michel Parisse fit ses études secondaires à Commercy puis en khâgne au lycée Poincaré de Nancy. Agrégé d’histoire en 1959, il enseigna au lycée de Metz, avant d’entrer en 1965 comme assistant à l’université de Nancy auprès du doyen Jean Schneider, et soutint sa thèse de IIIe cycle en 1966. Docteur d’Etat en juin 1975, il devint bientôt professeur à l’université Nancy II, auprès de laquelle il dirigea et développa l’Atelier de recherche sur les textes médiévaux (Artem). Entre 1985 et 1991, il fut détaché à la tête de la Mission historique française en Allemagne alors installée à Göttingen. Peu de temps après son retour à Nancy, il fut appelé à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne (1993), où il enseigna jusqu’à sa retraite en 2002, assumant un temps de lourdes responsabilités administratives. Il continua par la suite de déployer une grande activité scientifique mais l’insidieuse maladie de Parkinson finit par l’éloigner des séminaires auxquels il était resté fidèle jusqu’en 2012, à l’EPHE notamment. Le Covid-19 l’a emporté.
Michel Parisse était membre d’un nombre considérable de sociétés savantes locales, régionales ou nationales. Il avait été reçu au sein du Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte et des académies des sciences de Mayence et de Göttingen. Docteur honoris causa de l’Université libre de Berlin (Freie Universität Berlin), il avait été distingué dans l’ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne (Bundesverdienstkreuz).
L’œuvre historique de Michel Parisse est immense. Sa bibliographie donne le vertige ; un site bien connu dénombre plus de 530 références. De la note érudite au manuel, de la recension à la direction d’actes de colloque, il a pratiqué tous les genres et les formats, avec abondance et générosité, répondant aussi bien au bulletin d’une association locale qu’à une revue à spectre international.
Michel Parisse consacra ses premières recherches à la Lorraine médiévale. Sa thèse sur La noblesse lorraine (XIe-XIIIe siècle), diffusée sous forme multigraphiée avant sa publication partielle (Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale : les familles nobles du XIe au XIIIe siècle, Nancy, 1982), est une vaste étude sociale et institutionnelle reposant sur de vastes dépouillements effectués dans les archives et bibliothèques des départements lorrains, complétés par des quêtes fructueuses en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne. L’histoire de sa région natale a été le terreau de toutes ses curiosités, trouvant un point d’aboutissement dans un ample ouvrage (Austrasie, Lotharingie, Lorraine, Nancy, 1990), qui n’était pourtant à ses yeux que le regard porté, en parcourant le millénaire médiéval et après trente ans d’études, sur son « terrain favori d’historien ».
Les années que Michel Parisse passa à Göttingen élargirent ses perspectives vers l’Allemagne et la partie germanique de l’Empire. Il joua pleinement le rôle de passeur entre historiens et entre historiographies. Il multiplia les visites, les rencontres et les colloques, trouvant dans son action l’appui de l’Institut Max Planck de Göttingen que dirigeait alors Otto-Gerhard Oexle, avec qui il noua une solide amitié personnelle. Revenu en France, il répondit volontiers aux sollicitations qui lui étaient faites de rendre plus aisé l’accès des Français à l’histoire de l’Empire (De la Meuse à l’Oder : l’Allemagne au XIIIe siècle (dir.), Paris, 1994 ; Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, 2002).
Michel Parisse a toujours manifesté un grand intérêt pour « l’histoire sociale des hommes et des femmes voués à la vie religieuse ». La Lorraine fut là encore un observatoire privilégié, auquel il consacra en 1981 une première approche érudite mais sans prétention (La Lorraine monastique au Moyen Âge, Nancy). Quelques pôles ont été les repères majeurs de sa réflexion : Gorze, ses réformes et réformateurs (Le nécrologe de Gorze. Contribution à l’histoire monastique, Nancy, 1971 ; L’abbaye de Gorze au Xe siècle, avec O. G. Oexle, Nancy, 1993 ; La Vie de Jean abbé de Gorze [présentation et traduction], Paris, 1999) ; Remiremont, ses religieuses et son liber traditionum ; Morimond et sa filiation cistercienne si ouverte au monde germanique (L’abbaye cistercienne de Morimond : histoire et rayonnement [codirection], Langres, 2004). Mais ces points d’ancrage nourrirent tout autant des réflexions plus larges tendues vers les espaces et les zones d’influence, les courants de réforme et les réseaux monastiques et canoniaux, sans oublier la part des évêques et des clercs. C’est peut-être aux « religieuses » que Michel Parisse a voué une dilection particulière et pionnière. Un modeste livre « pour public cultivé » sur Les Nonnes au Moyen Âge, paru chez un éditeur du Puy en 1983, marqua le sillon et connut un succès qui surprit son auteur. Plusieurs études suivirent, notamment celles si éclairantes sur les chanoinesses séculières, qui furent reprises dans le recueil d’articles Religieux et religieuses en Empire du Xe au XIIe siècle (Paris, 2011). Si Michel Parisse aimait à ciseler les portraits individuels, il lui tenait tout autant à cœur de lister et quantifier les données, et de cartographier, comme le montre cette entreprise hors du commun que fut l’Atlas de la France de l’an mil (Paris, 1994), où il coordonna le travail d’une trentaine de collègues.
Michel Parisse était un amoureux des sources médiévales. Il se mit à leur service, s’effaçant derrière elles, soucieux de les laisser parler, de les mettre en valeur et les faire connaître, par des éditions ou des recensements dont il assumait le caractère provisoire, par la traduction enfin, un exercice souvent collectif (cf. La correspondance d’un évêque carolingien, Frothaire de Toul [ca 813-847], Paris, 1998), auquel il s’adonnait avec plaisir malgré les difficultés, et dont il encourageait la pratique, « parce que, disait-il, on ne comprend bien que ce que l’on s’est efforcé de traduire ». Apprenant la préparation de mélanges en son honneur, il ne donna son accord que si le livre relayait ses convictions ; il en fixa et le titre, Retour aux sources, et la règle du jeu : chaque contribution devait être dédiée à une source, à éditer ou commenter. C’est le monde des « chartes » qu’il explora avec passion – une passion de longue durée puisque son diplôme d’études supérieures (1958) portait sur les Actes de Thiébaut Ier, duc de Lorraine. Les dossiers d’actes antérieurs à 1121 versés par centaines dans ce qu’on appelle la base de l’ARTEM lui offrirent un vivier inépuisable, dont la fréquentation fit de lui un expert internationalement reconnu. Attentif au détail concret, il multiplia les études neuves sur la ponctuation, les abréviations et la calligraphie des chartes, sur la pratique des croix autographes et des chirographes. Il n’eut de cesse de ranimer l’intérêt porté aux actes épiscopaux (A propos des actes d’évêques. Hommage à Lucie Fossier, Nancy, 1991), prit une part décisive à la rencontre sur Les Cartulaires (1991) et mit les Pancartes monastiques sur le devant de la scène (1994).
Un dernier champ d’action (voire de bataille) occupa ses années parisiennes : celui de la « défense et illustration » du latin médiéval. Avec sa détermination coutumière, il entreprit, avec Monique Goullet, de procurer aux étudiants les moyens d’apprendre et de se perfectionner. La méthode, testée in vivo auprès des étudiants de Paris 1 dès 1994, donna lieu à une série d’ouvrages (Apprendre le latin médiéval, 1996 ; Traduire le latin médiéval, 2003 ; Lexique Latin-français. Antiquité et Moyen Âge, 2006), auquel s’ajouta in fine un Manuel de paléographie médiévale (2006) conçu modestement comme un manuel de déchiffrement. C’est sans doute par ces livres que le nom de Michel Parisse est aujourd’hui connu des étudiants. Leur succès, qui a gagné les pays de langue allemande, fut pour lui une grande satisfaction, tant il était préoccupé d’outiller les apprentis médiévistes et par là d’aider à leur instiller le goût des sources primaires de l’historien.
Michel Parisse aimait réfléchir en compagnie, et recherchait le dialogue avec ses pairs et avec tous ceux qui travaillent en historiens. À cette fin, il inventa de nouveaux cadres de rencontre dans les départements lorrains, les Journées d’études meusiennes (depuis 1973) et leurs sœurs vosgiennes (depuis 1975). Son nom demeure surtout associé, aux côtés de celui de Paul Margue, à la naissance des Journées lotharingiennes qui se tiennent depuis 1980 tous les deux ans à Luxembourg, où il était chargé de cours. Son rayonnement lui a attiré un nombre considérable d’étudiants et de doctorants, et le réseau de ses amis est tentaculaire. En témoigne le lourd volume de ses mélanges, qui rassemble plus de 90 contributions venues de toutes parts.
L’enseignant était pétillant, drôle et vivant, toujours soucieux de clarté. C’était un conférencier et débatteur hors pair, qualités qui n’échappèrent pas aux réalisateurs de débats télévisés dès les années 1970. Personnalité vive et entière, parfois impatient, Michel Parisse savait, en réunion comme en colloque, défendre ses positions et convictions, n’hésitant pas à poser les questions-qui-fâchent, sans jamais manquer de délicatesse.
Michel Parisse répétait volontiers qu’il n’avait pas de disciples, mais comptait des amis. Ses nombreux doctorants et collègues ont pu goûter les facettes de son amitié, faite de chaleur, d’humour, de gentillesse et de générosité. Le mot de « bienveillance », si galvaudé aujourd’hui, revient souvent sur les lèvres de ceux qui l’ont connu. C’est avec reconnaissance et admiration, et surtout beaucoup d’affectueuse tendresse, que ceux qui ont cheminé à ses côtés pensent à lui aujourd’hui.

Laurent Morelle
Directeur d’études à l’EPHE