Littérature - Delphine REGUIG

DELPHINE REGUIG Faire preuve de « sympathie historique »

12 mai 2021. Delphine Reguig, professeure de littérature française du XVIIe siècle, et chercheuse au sein de l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités (IHRIM), est nommée membre senior de l’Institut Universitaire de France à compter du 1er octobre 2021 et pour une durée de 5 ans.

©Delphine REGUIG

Cinq années durant lesquelles Delphine va s’investir dans un sujet de recherche qui la passionne : l’imaginaire de la temporalité tel qu’il a été constitué par la monarchie absolue dans l’Ancien Régime entre la fin des guerres de religion et la Révolution française. Pour cela, elle collabore avec des chercheurs de domaines variés : historiens, historiens de l’art ou des sciences, philosophes, juristes, linguistes, ce qui permet de croiser les regards pour mieux comprendre la culture de cette période.

« L’idée est de montrer comment les rois ont travaillé à manipuler la représentation que leurs sujets se faisaient du temps,  en donnant par exemple au présent une valeur politique toute particulière » explique Delphine.
Louis XIV est un parfait exemple de cette instrumentalisation ayant passé son règne à démontrer à ses sujets qu’ils vivaient une époque sans précédent. Les dictionnaires du temps s’appuient ainsi sur l’exemple du « Grand Siècle » pour parler de cette période, mettant en parallèle le règne de Louis XIV avec celui des empereurs romains.

« Je suis tombée dans les livres… »

« Je suis tombée dans les livres lorsque j’étais petite et n’en suis jamais ressortie » raconte Delphine amusée.
Si l’accès aux livres était assez restreint dans son environnement familial, Delphine Reguig va paradoxalement être passionnée très tôt par l’art, la culture, la littérature. Après un bac littéraire, elle rentre en classes préparatoires Hypokhâgne et Khâgne à Toulouse d’où elle est originaire. Ses études se passent bien et elle poursuit par l’agrégation après son entrée à l’École Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud, en banlieue parisienne (actuelle ENS de Lyon). Elle choisit ensuite la recherche et c’est sous la direction d’Antony McKenna qu’elle vient faire son Master 2 à Saint-Étienne et commence à travailler sur le milieu culturel de Port-Royal.

Delphine poursuit ensuite toujours à Saint-Étienne avec une thèse intitulée Le Corps des Idées. Pensées et poétiques du langage dans l'augustinisme de Port-Royal qu’elle conduira dans le cadre d’un contrat doctoral de 3 ans et de deux années d’ATER.

En 2004, elle est élue Maîtresse de Conférences à la Sorbonne. « Des années exigeantes mais passionnantes » se souvient-elle. Soutenant son HDR (habilitation à diriger des recherches) sur Boileau en 2014, elle postule en 2017 sur un poste de professeure d’Université et revient à Saint-Étienne pour intégrer l’équipe de l’IHRIM. Dès son arrivée, elle répond à un appel à projet Impulsion et démarre sa recherche sur Charles Perrault. En effet, lors de ses recherches sur Nicolas Boileau, Delphine s’était déjà intéressée à Charles Perrault, célèbre opposant de l’homme de lettres. Chef de file des Modernes dans la Querelle des Anciens et des Modernes, polémique qui a agité le monde littéraire, scientifique et artistique de la fin du XVIIe siècle, Charles Perrault a eu un rôle politique important. Delphine entreprend alors de diriger l’édition numérique du Parallèle des Anciens et des Modernes de Charles Perrault. « Ce qui m’intéresse dans cette époque c’est le fait que les polémiques ne soient pas gratuites : elles créent des configurations intellectuelles ; le débat est vivant et produit des idées », confie-t-elle.

« C’est à partir de ce moment-là que j’ai compris qu’il pourrait être utile de repenser le climat intellectuel de l’époque autour de cette donnée du temps car je crois vraiment qu’aujourd’hui encore c’est une façon de faire de la politique : instrumentaliser la façon dont les gens se représentent leur époque, définissent leur actualité, les époques précédentes, l’avenir, en termes de modernité, de progrès ou de fin... »

Un parcours plutôt atypique dans le milieu des dix-septièmistes

« Avec de la méthode, du travail, de l’enthousiasme, tout est possible ». C’est le conseil que donne Delphine Reguig à ses étudiants. Un conseil qu’elle puise dans son parcours personnel. « Je me suis beaucoup questionnée dès le début, ne venant pas d’un milieu me prédestinant à devenir universitaire, loin de là ». Les premières années d’études sont difficiles, elle n'a pas les codes que semblent avoir ses camarades pour avancer dans ce monde. Elle s’accroche cependant et conquiert chacune des étapes de son parcours. Elle apprend ainsi qu’aucune trajectoire n’est déterminée à l’avance.

Delphine REGUIG devant des lycéens pour la fête de la science 2021
©CSTI UJM/ Delphine REGUIG devant des lycéens pour la fête de la science 2021

Dans son métier, tout est question de rythme. Ce sont parfois des journées où elle plonge dans un livre ancien sans voir les heures passer, remonte le temps, cherche à comprendre cette façon de penser du XVIIe siècle en faisant ce que Delphine appelle un effort de « sympathie historique », effort d’ouverture à la différence culturelle. À d’autres reprises ce sont des journées de travail collectif, ateliers, séminaires, colloques permettant de nouer des liens avec des chercheurs nationaux ou internationaux, de mettre en perspective son propre travail.

Si, à l’instar d’autres femmes chercheuses, Delphine concède qu’il est parfois compliqué de concilier vie de famille et vie professionnelle, elle est guidée par une ambition scientifique qu’elle distingue de l’appétit de pouvoir : « on peut avoir de l’ambition sans rechercher forcément le pouvoir ». Celle à qui l’on avait dit, durant sa maîtrise, qu’elle ne travaillerait jamais dans la recherche, a créé sa place.
L’arrivée de sa fille durant sa thèse ne fut pas, contrairement à ce que certains auraient pu penser, la fin de sa carrière. Au contraire, «la naissance de ma première fille m’a donné de l’énergie et m’a libérée de la pression d’écrire un chef d’œuvre, m’a permis de mieux m’organiser pour travailler, d’être plus lucide et plus efficace ».

Pour faire bouger les mentalités, elle n’a pas hésité à s’investir, « à se mouiller », en acceptant des responsabilités, des défis, comme lorsqu’elle a dirigé la revue XVIIe siècle.

Passionnée par son métier, Delphine Reguig encourage ses étudiants à avoir confiance en eux, à rester fidèle à une haute exigence intellectuelle et à se méfier des préjugés.
Consciente de l’image élitiste qui colle à sa spécialité, elle met tout son cœur à montrer que les textes du XVIIe siècle sont non seulement accessibles à toutes et tous mais constituent un héritage culturel à s’approprier avec bonheur.