Biologie des tissus osteo-articulaires-Marthe Rousseau

MARTHE ROUSSEAUEt si l’on pouvait prévenir l’ostéoporose avec de la nacre ?

A quoi pensez-vous si l’on vous parle de la nacre ? A des perles, des coquillages, des bijoux ? Et si l’on vous disait os, principes actifs, régénérescence… Et bien oui, la nacre n’est pas seulement un élément naturel permettant de fabriquer des bijoux ou accessoires de décoration, c’est également un matériau biomédical.

Pour Marthe Rousseau, chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), hébergée au sein du laboratoire de Santé Ingénierie et Biologie (SAINBIOSE-U1059-INSERM) de l’UJM, il s’agit bien d’une réalité scientifique. Les principes actifs de la nacre en stimulant la formation osseuse et accélérant la régénération osseuse, vont pouvoir permettre de remplacer ou réparer l’os. La nacre peut donc être mise en contact direct avec le tissu osseux mais pas seulement.

Et si l’on pouvait « manger de la nacre » ? Cela peut paraître fou, la nacre étant un matériau dur, résistant mécaniquement. Mais les chercheurs du laboratoire Sainbiose ont trouvé le moyen de la réduire en poudre sans la contaminer et en préservant bien tous ses principes actifs.

L’idée d’utiliser la nacre pour lutter contre l’ostéoporose a donc commencé à faire jour. Même s’il s’agit pour l’instant d’une approche préventive, la nacre pourrait ralentir la perte osseuse dans un contexte d’ostéoporose. Il existe aujourd’hui des traitements dans des cas de fractures « sans traumatisme», de fragilités dues à l’ostéoporose. Ces traitements au long court sont difficiles à suivre de manière assidue et ont parfois des effets secondaires compliqués et même graves. Ce traitement bien toléré pourrait être également utilisé à large échelle en prévention, permettant ainsi d’éviter des fractures.

La nacre permettrait donc de ralentir le recours à ces thérapeutiques mais revenons un instant sur ce matériau surprenant, contenant tant de propriétés.

 

Si l’os est un endosquelette qui contient des cellules, la nacre, elle, est une partie d’un endosquelette qui n’en contient pas. C’est le manteau de l’huitre perlière, c’est-à-dire la petite peau que l’on trouve dans les huîtres que l’on mange, qui va sécréter la nacre de la coquille. Les cellules restent dans ce manteau, elles ne vont pas dans la coquille. Dans cette coquille on retrouve du carbonate de calcium et des molécules organiques : protéines, lipides,…

Les industriels, dont Stansea, fournissent aux chercheurs un stock de nacre réduite en poudre. Il s’agit uniquement de nacre de coquille extraite sur des huîtres perlières géantes permettant de prélever jusqu’à 1kg de nacre par animal. La nacre étant un co-produit de la perliculture dont la filière industrielle existe déjà, la récupération de la nacre n’impacte pas le stock sauvage.

C’est parce qu’elle a voulu rejoindre un laboratoire spécialiste de l’ostéoporose, que Marthe Rousseau a intégré il y a 3 ans, l’équipe LBTO (Laboratoire de Biologie des Tissus Ostéo-articulaires) du laboratoire Sainbiose. Elle avait en effet la volonté  d’intégrer un laboratoire d’experts dans ce domaine : « ce qui est unique, c’est qu’ils sont spécialistes de l’ostéoporose et en capacité de travailler à l’échelle de la molécule, l’échelle cellulaire, l’échelle tissulaire », explique-t-elle. « Il y a actuellement au sein de l’équipe des rhumatologues et donc il sera possible d’envisager des études cliniques ».

Ce travail sur la nacre permet effectivement de belles collaborations comme avec le projet « Nutrinacre » financée par la région AURA dans lequel on peut retrouver l’équipe LBTO de SAINBIOSE, le GIMAP (Groupe sur l'Immunité des Muqueuses et Agents Pathogènes), le LYos (Physiopathologie, diagnostic et traitements des maladies osseuses) de Lyon, le LGL (Laboratoire de Géologie de Lyon, ENS Lyon), l’UNH (Unité de Nutrition Humaine, INRA) de Clermont-Ferrand, et les services de rhumatologie de St-Etienne, Lyon et Clermont-Ferrand et l'entreprise stéphanoise Stansea.

Ce projet mêlant la recherche fondamentale, la recherche clinique, et même l’entreprise a pour objectif d’améliorer la poudre de nacre pour améliorer la biodisponibilité du calcium et des principes actifs. Ses recherches font également l'objet d'un financement de l'ANR (projet ANR JCJC NADO) et de l'Université de Lyon (Dispositif ELAN-ERC, IDEXLYON).

A l’international, seule des études ponctuelles ont été faites et sur certains sujets, comme la digestion de la poudre de nacre et l’action des principes actifs sur l’organisme, SAINBIOSE, à travers les recherches de Marthe Rousseau, est précurseur.

« Je suis tombée dans la nacre il y a 20 ans ! »

Comme bien souvent, si Marthe travaille sur la nacre depuis bientôt 20 ans, c’est par un concours de circonstance. On pourrait penser que ce serait en biologie, et bien non…, c’est dans la chimie que Marthe commence ses études supérieures. « Mon rêve était d’être chimiste et de trouver des molécules qui soignent » confie-t-elle. Une expérience Erasmus en Allemagne dans le monde de la chimie pharmaceutique lui permet de se rendre compte que le métier ne correspond pas à ses attentes. Cette nantaise d’origine, passionnée de voile, s’inscrit alors en DEA de chimie marine à Brest et effectue son stage en biotechnologie marine à Concarneau.

 A la suite de ce DEA, on lui propose de poursuivre sur un autre sujet en thèse au Canada, mais le destin va en décider autrement. Alors qu’elle est en attente de réponses pour cette thèse, elle va avoir l’opportunité d’intégrer une équipe de recherche travaillant sur la nacre au sein du Museum d’Histoire Naturelle de Paris. Elle accepte, rejoint l’équipe et démarre une thèse sur la nacre en tant que matériau : sa formation, sa structure, sa croissance.

« Je ne me serais jamais vu chercheure… on avance en fonction de ce qui nous motive, ce qui nous plaît avec la volonté de résoudre un problème », explique-t-elle.

 

Depuis 12 ans, chargée de recherche dans l’innovation biomédicale, Marthe Rousseau poursuit ses recherches dans la lutte contre l’ostéoporose. De la chimie au biomédical, l’objectif qu’elle avait au départ est toujours le même « trouver des molécules qui soignent ». « Ce que j’aime dans mon métier », explique-t-elle, « c’est que je me pose des questions, je vais chercher des outils, des nouveaux modèles, j’apprends et j’applique ».

Passionnée par son sujet et son métier, nous ne doutons pas qu’elle pourra un jour révéler tous les secrets de la nacre !